Dominique DUFOURMANTELLE
Il y a près de 30 ans, ce texte a jailli sur les pages d’un cahier. Comme le palet jeté avec précision sur les cases d’une marelle.
Puis son auteure l’a « oublié »…
Elle se risque, aujourd’hui, à le publier, dans le contexte actuel d’une parole sur l’enfance qui se libère. Il rencontrera à n’en pas douter des lecteurs qui le recevront et se laisseront happer par le texte. Rythme, tension de l’écriture, nous entraînent dans la course éperdue d’une petite fille poussée par son envie de vivre.
Préface
J’ai rencontré Dominique Dufourmantelle lors du séminaire « Folie et Lien social » que Jean Max Gaudillière et moi donnions chaque semaine à l’EHESS. Après sa mort en 2015, les participants furent accueillis par l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau dans un séminaire
intitulé « La guerre transmise ».
Au début de cette année 2021, elle me confia le texte que vous allez lire, écrit il y a trente ans. J’étais à mille lieues de me douter qu’en ouvrant la porte de La loge, je découvrirais la guerre transmise dans une folie déchaînée contre une mère et ses filles. La plus jeune en témoigne ici au présent, sur un rythme poétique haletant, celui de son échappée belle dans la rue et plus tard dans les mots.
L’adulte qu’elle est devenue est restée fidèle aux ressources de l’enfant face à la brutalité extrême, pour nous emmener avec elle, lecteurs et lectrices, sans nous transformer en voyeurs. Son art de la fugue est ponctué par de petites phrases et accompagné par des petites choses, sans oublier des animaux, où se réfugient la vie et l’intelligence. L’enfant perçoit au-delà de la violence de l’ancien déporté, l’univers concentrationnaire qui s’abat sur elles, cherche à les protéger -lui aussi- jusqu’à la tragédie finale, figée dans un article du
journal le Monde de 1961.
« Les fais divers ne sont pas divers pour tout le monde » disait Jean Max Gaudillière lors de son séminaire sur Pirandello qui trouvait les sujets de ses nouvelles dans les journaux siciliens. La jalousie démente de la femme de l’auteur sicilien avait éclaté après un tremblement de terre inondant subitement la mine de souffre d’où ils tiraient leurs revenus.
Pendant le premier conflit mondial, il transformera ses nouvelles en ce qu’il appelle « son théâtre de guerre ».
La loge est la scène du théâtre de la guerre que mène l’enfant pour survivre, mais aussi pour comprendre. L’acuité de ses impressions, désavouées par l’entourage, se fait entendre dans la justesse du ton de son écriture qui parle aussi pour ceux que personne n’entend.
Publiée aux Editions du Chameau, La Loge ne pouvait trouver meilleur accueil. Lorsque LoÏc Jacquet y publia « Salut poilu!» et me demanda de le préfacer, j’eus la joie de découvrir qu’il y était accueilli par Brigitte Montaclair, ayant participé, elle aussi, à notre séminaire.
Dans les situations extrêmes dont témoignent ces deux livres les belles rencontres de hasard jouent un rôle considérable.
Françoise Davoine, 1 er Mai 2021.
Format 21 x 2519 x 13,5 cm, 30 pages, tirage sur papier Munken lynx 150 g/m2. ISBN : 978-2-490962-11-2. Prix de vente 12 € (+ 3 € de frais de port). Si vous souhaitez acquérir un exemplaire, vous pouvez télécharger un BON-DE-COMMANDE (au format pdf) et envoyer un chèque de 12 € plus 3 € de frais de port, à l’ordre de « Galerie 175 – Éditions du Chameau », au 15 rue Mélingue 14000 CAEN.
Pour deux exemplaires les frais de port s’élèvent à 4 €. Pour davantage de livres, nous contacter.
Le début du texte :
J’ai couru toute la matinée dans la rue, de la loge au
square, du square à la loge, pataugé en culotte de coton
blanc sale dans l’eau des bassins.
Me voilà toute mouillée, les genoux écorchés.
Ma mère m’a encore grondée.
Mon père me regarde méchamment.
J’ai peur !
J’avale rapidement quelque croûton et me réfugie dans
l’église toute proche. Avec un peu de chance, je pourrais
récupérer quelques sous dans le tronc, avec un bout de fil
et un petit aimant. De quoi m’acheter des carambars, des
rochers Suchard, des sucettes au chocolat…
Toute ma ménagerie m’entoure : chien, chat, canaris dans
leur cage, ouistiti tenu en laisse, perroquet sur l’épaule,
tortue, bocal de poissons rouges dans le vieux landau que
je pousse. Mais où est donc la chatte ?
Je m’affole, cherche partout dans la loge, sous la table,
sous le lit. Elle n’est pas dans la cour.
Je me précipite dans la rue. Elle est là, cachée sous une
voiture. Impossible de l’attraper. Vite, un balai. Tout le
monde me regarde.
Je m’en moque, les gens dans la rue ne m’intéressent pas.
Je ne les vois pas.
La seule chose qui compte est de ne pas être dans la loge
pour ne pas recevoir de coups.
Je cours cheveux au vent.
Parfois, le fils de la concierge voisine s’amuse à soulever
ma jupe et rit de voir ma culotte.
On s’amuse. On s’aime comme s’aiment les gosses, d’un
amour vif et léger comme l’air matinal d’un beau jour
ensoleillé de mai.
Attrape-moi si tu peux !
Il me poursuit et nos rires éclatent dans la rue triste et
noire. Tiens, voilà une voisine qui arrive dans son pot de
yaourt à roulettes. Elle soulève la portière et disparait,
avalée par l’immeuble.
Le bon de commande
Le bon de commande